“Ils ont volé mon enfance”: Le poids silencieux des violences sexuelles sur les enfants au Rwanda

Musanze, Rwanda dans une salle exiguë d’un centre d’accueil pour enfants en détresse, Aline baisse les yeux, sa voix se brise. À 15 ans, elle porte un fardeau que peu pourraient imaginer. “J’avais 9 ans quand mon oncle a commencé à venir me voir la nuit. Je ne comprenais pas. Il disait que c’était normal, que je devais garder le silence.”

Aujourd’hui, elle lutte contre des cauchemars persistants, une grossesse non désirée et une confiance en elle détruite.

Le porte-parole du Bureau d’enquête du Rwanda (RIB), Dr Murangira B. Thierry, a annoncé que durant l’année 2023-2024, 4 567 dossiers relatifs à des abus sexuels sur enfants ont été traités.

Il a fait cette déclaration lors d’un échange avec les députés membres de la Commission de l’unité nationale, des droits de l’homme et de la prévention du génocide, dans le cadre de l’analyse du rapport annuel 2023-2024 de la Commission nationale des droits de l’homme.

Il a précisé que parmi les dossiers transmis au Parquet, on comptait 4 849 victimes mineures dont 4 646 filles et 203 garçons tandis que le nombre de suspects s’élevait à 4 901, dont 4 767 hommes et 134 femmes.

Un crime souvent commis par des proches

La majorité des cas répertoriés mettent en cause des membres de la famille, des voisins ou des personnes de confiance. Cette proximité rend le crime encore plus destructeur.

“L’agresseur est souvent connu de la victime, ce qui empêche l’enfant de parler, surtout lorsqu’il est menacé ou manipulé émotionnellement”, explique Uwineza, psychologue clinicienne, qui soutient les victimes de violences basées sur le genre.

Dans le cas d’Aline, sa mère a longtemps refusé de croire aux accusations. “Elle disait que je voulais salir la famille. Je me suis sentie trahie. Je n’ai eu de soutien que quand j’ai été enceinte.”

Ce phénomène d’isolement et de stigmatisation des victimes est récurrent, particulièrement dans les milieux ruraux, où les traditions pèsent lourdement.

Des séquelles durables, invisibles mais profondes

Selon une étude menée en 2022 par le Rwanda Biomedical Center (RBC), les enfants victimes d’abus sexuels ont un risque accru de développer des troubles anxieux, des dépressions chroniques, des pensées suicidaires et des comportements autodestructeurs à l’adolescence et à l’âge adulte.

Ces séquelles ne s’arrêtent pas au niveau psychologique : “On observe aussi des troubles de l’apprentissage, un décrochage scolaire, des grossesses précoces et parfois une exposition plus grande au VIH/SIDA”, souligne Dr Claudine, pédiatre.

Bien que le Rwanda ait renforcé la justice contre les violences sexuelles avec des peines allant jusqu’à la perpétuité pour les auteurs de viols sur mineurs, la réalité sur le terrain est tout autre. De nombreux dossiers sont étouffés, faute de preuves ou à cause de la médiation communautaire illégale.

“Des familles préfèrent le silence ou les arrangements financiers. Dans certains cas, les parents retirent la plainte pour préserver l’honneur de la famille”, confie un enquêteur du RIB sous anonymat.

Certaines victimes, comme Josiane, 17 ans, ont trouvé la force de transformer leur douleur en militantisme.

“J’ai décidé de témoigner dans mon école, de parler aux autres filles, de leur dire que ce n’est jamais de leur faute.” Elle a été accompagnée par l’association du Centre Isange One Stop, qui offre un soutien médico-légal, psychologique et juridique aux victimes de violences sexuelles

“L’impunité alimente le cycle de la violence,” alerte Me Anne-Marie, avocate spécialisée en droits des enfants. “Tant que les communautés continueront à protéger les agresseurs au lieu des victimes, nous resterons complices du viol contre l’innocence.”

Elle recommande le renforcement des clubs scolaires de prévention, l’éducation sexuelle adaptée à l’âge, et la formation des enseignants à détecter les signes de violences. À cela s’ajoute la nécessité d’un accompagnement psychologique gratuit à long terme pour les enfants victimes, “pas seulement un débriefing de deux semaines”.

Les violences sexuelles envers les enfants au Rwanda ne relèvent pas seulement d’un problème individuel, mais d’une crise de société. Il ne suffit pas de punir les coupables: il faut aussi protéger, écouter et soigner les victimes. Chaque silence est un espace que les prédateurs occupent. Chaque témoignage est une brèche dans leur impunité.

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